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Des dessins de Basquiat exposés en Bourgogne sont-ils faux ou simplement mauvais ?

Des dessins de Basquiat exposés en Bourgogne sont-ils faux ou simplement mauvais ?

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Des dessins de Basquiat exposés en Bourgogne sont-ils faux ou simplement mauvais ?

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Installée au pied des vignes, la galerie Volcano, située à Nuits-Saint-Georges (Côte-d’Or) a voulu frapper fort en présentant pour sa première exposition 35 dessins inédits de Jean-Michel Basquiat. Des œuvres en majorité prêtées par un collectionneur bourguignon, Dominique Viano.
Un véritable conte de fées pour les fans de Basquiat, immense légende de l’art contemporain avec son univers traversé par la rage et la colère contre le racisme. Basquiat, étoile filante surdouée, a réalisé environ 800 toiles en huit ans et plus de 1 500 dessins. Celui que l’on a surnommé The Radiant Child, « l’enfant radieux », est mort d’une overdose en 1988 à l’âge de 28 ans.

Au début des années 80, il vendait sa production pour 50 dollars contre du cash ou de la drogue. Aujourd’hui, lui qui écrivait sur une toile « not for sale » (« pas à vendre »), voit sa côte pulvériser des records. Le 18 mai 2017, une de ses toiles représentant la tête d’un homme noir au regard plein d’effroi sur fond bleu, s’est vendue plus de 110 millions de dollars chez Sotheby’s, célèbre maison de vente aux enchères basée à New York. Ses dessins aussi s’arrachent à prix d’or : plus de 15 millions de dollars pour le dessin d’une tête bleue aux cheveux verts.
C’est dire si lorsqu’elle ouvre, l’exposition de Nuits-Saint-Georges est un événement. Dans la petite galerie, les dessins réalisés au pastel et au crayon gras sont présentés non encadrés, dans des vitrines. Ils représentent pour la plupart des têtes aux yeux exorbités et aux couleurs mélangées. On y retrouve les symboles iconiques de Basquiat : des couronnes, des dents, une voiture et des mots souvent raturés comme : « radioactivité », « Rabelais », « Orion », ou « Cassiopée ».
Mais on ressent tout de suite un léger malaise devant ces visages aux couleurs surchargées, voire gribouillées, car elles ne laissent pas surgir la puissance d’effroi et de révolte que suscitent les figures humaines transcendées par l’enfant de Brooklyn.

A gauche, un dessin attribué à Basquiat, refusé à la vente par la maison Pierre Bergé & Associés en 2018, mais exposé à Nuits-Saint-Georges en 2020. A droite, une toile de Basquiat vendue 110 millions de dollars en 2017. (Isabel Pasquier / Radio France et SOTHEBY’S / HANDOUT / EPA / MAXPPP)

Lorsque Richard Rodriguez, grand connaisseur du peintre new-yorkais, découvre ces dessins en visionnant un reportage de France 3, il se met en colère. Pour lui, il n’y a aucun doute : ces dessins sont des faux. Et même de mauvais faux. « Ils ont donné à ces dessins un côté puéril, comme si Basquiat était un écolier, tempête-t-il. Ça fait très croquis d’enfant, mais ce n’est pas Basquiat. C’est trop étriqué comme travail. Ça manque de spontanéité. Jamais Basquiat n’a mélangé les couleurs comme ça. Si Basquiat avait fait ça, il n’aurait jamais été célèbre ! »

Richard Rodriguez n’est pas un expert officiel de Basquiat, mais sa connaissance de l’œuvre de l’artiste lui confère ce statut aux yeux de plusieurs maisons de vente qui le consultent pour avoir son avis sur l’authenticité d’une œuvre. En 1994, il a démasqué quatre faux tableaux de Basquiat vendus sur le stand de la prestigieuse galerie Templon à la Fiac (Foire internationale d’art contemporain, à Paris). Ils avaient été réalisés par un ancien assistant de l’artiste, Zadik Zadikian. Cela lui a valu un procès en diffamation de la part du galeriste, qu’il a gagné – le banquier Edouard Stern faisait partie des acheteurs qui se sont fait gruger.
Autre élément douteux que pointe ce lanceur d’alerte de l’art : la qualité du papier utilisé. Bien trop fragile pour le geste nerveux, rageur de Basquiat, toujours sous la tension de l’urgence. « Ces dessins s’ils étaient de Basquiat , ils vaudraient entre 500 000 et deux millions d’euros pièce ! Les ont-ils achetés entre 500 000 et 2 millions d’euros pièce ? C’est faux. Et moi, je suis prêt à témoigner devant les tribunaux s’il le faut. »

Un autre dessin soi-disant de Jean-Michel Basquiat, refusé lui aussi à la vente par Pierre Bergé & Associés en 2018, et exposé à Nuits-Saint-Georges en 2020.  (Isabel Pasquier / Radio France)

A l’origine de cette exposition, il y a un homme, Dominique Viano, qui a mené une vie plutôt romanesque : diplômé de l’École nationale des beaux-arts de Dijon, il a exercé comme professeur de lettres, producteur télé, et écrivain après avoir été diamantaire (« fauché », précise-t-il) et marchand d’art. Il aime à raconter qu’il a rencontré Andy Warhol quand il fréquentait la jet-set parisienne autour de Jacques de Bascher, compagnon de Karl Lagerfeld et amant d’Yves Saint-Laurent.
Lui réfute toutes ces critiques et affirme avoir acquis ces dessins en toute légalité. « Je les ai achetés à un collectionneur français, qui les a achetés lui-même à un collectionneur américain, David Rosen, qui les a acquis principalement au Mudd Club [club mythique du New York underground des années 80] auprès de Jean-Michel Basquiat », explique-t-il à la cellule investigation de Radio France.
Nous avons pu nous procurer des attestations de provenance qui confirment ces propos. Mais lorsqu’on les examine, elles semblent peu crédibles. Ce sont des documents on ne peut plus facile à fabriquer, qui ont fait sourire les spécialistes auxquels nous les avons présentés. Selon ces attestations, David Rosen, un collectionneur de Rochester dans l’État de New York a acheté 89 dessins de Basquiat à l’artiste au Mudd Club qu’il fréquentait alors. Entre 2012 et 2014, David Rosen a revendu ces 89 dessins à un jeune collectionneur de la région de Saint-Étienne. Puis en 2017, ce jeune collectionneur en revend 31 à Dominique Viano. Mais sur ces papiers sommaires ne figure pas le montant de la transaction.

« Attestation de provenance » montrant la vente de dessins attribués à Basquiat entre un collectionneur de Saint-Etienne et Dominique Viano.  (Isabel Pasquier / Radio France)

« Personne au monde ne détient autant de dessins, en privé ou en musée, soutient pour sa part Nordine Zidoun, un galeriste qui a exposé Basquiat. Dans l’exposition de Nuits-Saint-Georges, il y en avait pour 50 à 60 millions de dollars. C’est juste impossible ! Sur quelle valeur ces dessins ont-ils été assurés ? Qu’ils montrent la valeur d’assurance, pour prouver leur bonne foi. S’ils ne le font pas, c’est qu’ils sont de mauvaise foi. » Nordine Zidoun précise que lorsqu’il a lui-même fait une exposition Basquiat, l’assureur lui avait imposé des conditions de sécurité draconiennes, jusqu’à exiger des barreaux aux fenêtres de sa galerie. Autant de précautions qui n’ont pas été prises dans la galerie bourguignonne.
Autre élément troublant : en 2018, Dominique Viano avait cherché à vendre quatre de ces dessins. Ils avaient alors été refusés par la maison de vente aux enchères Pierre Bergé & Associés. Alors consulté, Richard Rodriguez, avait déjà considéré qu’il s’agissait de faux. Par ailleurs, nous avons pu retrouver via son compte Facebook le jeune collectionneur de Saint-Étienne qui est supposé les avoir vendus à Dominique Viano. Il a refusé de répondre à nos questions et a semblé très inquiet d’avoir été identifié.

Nous avons ensuite exploré la piste de David Rosen, l’Américain qui aurait acheté ces dessins à Basquiat lui-même au Mudd Club. L’artiste venait effectivement s’y produire avec Gray, son groupe de noise music. On y rencontrait Keith Haring, David Bowie, Frank Zappa, les Talking Heads, les Ramones, l’écrivain William S. Burroughs ou encore Debbie Harry, la chanteuse de Blondie, qui a acheté à Basquiat sa toute première toile. Personne ne peut contester que Basquiat vendait parfois ses œuvres dans ce club sans les signer…
Problème cependant : ce David Rosen est inconnu dans le milieu de l’art, et son nom sème la confusion avec un acteur et véritable ami de Basquiat qui s’appelle lui Danny Rosen. A Rochester, nous avons pu identifier un dentiste s’appelant David Rosen. Il n’a pas répondu à nos demandes d’interview mais sa secrétaire nous a affirmé qu’il n’avait rien à voir avec Basquiat. Un autre David Rosen qui tient une galerie à Miami ne collectionne pas de Basquiat. L’Estate of Jean-Michel Basquiat (sa succession officielle) ne nous a pas répondu à ce sujet. Et personne dans le milieu de l’art n’a entendu parler d’un David Rosen possédant de nombreux dessins de Basquiat.
Nous avons sollicité Fred Hoffman, qui a travaillé avec Jean-Michel Basquiat, et qui a fait partie de son comité d’authentification. Lorsque nous lui avons demandé ce qu’il pensait de ces 89 dessins acquis par un certain David Rosen, il nous a répondu : « Le fait que quelqu’un possède 89 dessins qui n’ont jamais été reconnus suffit à répondre à la question que vous vous posez. »

Jean-Michel Basquiat et Andy Warhol, le 7 novembre 1984, à l’Area Nightclub à New York. (RON GALELLA / RON GALELLA COLLECTION / Getty Images)

Le problème, c’est que personne n’est habilité à certifier une œuvre de Basquiat. Son comité d’authentification s’est dissous en 2012. Trop de procès lui étaient fait lorsqu’il expliquait au propriétaire d’une œuvre que celle-ci était fausse. Il perdait trop d’argent. Cette absence de comité d’authentification a donc offert un espace de liberté aux faussaires. S’il est très difficile de tromper le public avec des toiles de Basquiat, car il existe un catalogue raisonné (officiel) répertoriant la quasi-totalité de ces œuvres, rien de tel n’existe pour les dessins. De nombreux faux pullulent ainsi sur internet.

Difficile donc d’aller plus loin. Le parquet de Dijon n’a pas jugé utile de se saisir de l’affaire, et l’OCBC, l’Office central de lutte contre le trafic des biens culturels, n’a pas été saisi. Aucune plainte n’a été déposée. Et l’entrée dans l’exposition était gratuite. Un catalogue vendu 18 euros a bien été édité lors de l’exposition, et s’il s’agit de faux, le public a été trompé. Mais ces motifs semblent avoir été jugés insuffisants pour que la justice ouvre une enquête.
Quant aux galeristes et aux collectionneurs, ils pourraient être fondés à saisir la justice. Tout faux porte en effet atteinte à l’œuvre de Basquiat. Mais le milieu de l’art préfère éviter d’ébruiter le sujet. « Trop parler de faux fragilise le marché, explique Pierre Lautier, avocat en droit d’auteur. Le milieu de l’art préfère continuer à travailler sereinement sans faire de vague, car trop de faux ou d’histoires de faux, ça peut refroidir les collectionneurs. »

Exposition de dessins attribués à Jean-Michel Basquiat, dans une galerie de Nuits-Saint-Georges (Côte-d’Or), en octobre 2020. (JEFF PACHOUD / AFP)

En dernier ressort, nous avons donc montré ces dessins à d’illustres faussaires. Premier d’entre eux : Guy Ribes, le plus célèbre des faussaires français qui a été condamné à de la prison pour des faux tellement réussis qu’ils avaient été authentifiés par des experts. Avec son allure à la Simenon et sa légendaire pipe, il nous reçoit devant la toile tendance cubiste qu’il est en train de finir. Lorsqu’on lui montre les dessins, son verdict est sans appel : « Pour moi Basquiat c’est une âme, et là quand je vois ces dessins, il n’y a pas d’âme. Ça m’étonnerait que Basquiat ait pu faire des dizaines de dessins comme ça. C’est lourd, c’est pas spontané. C’est pas bon. Si on me demandait s’ils étaient authentiques, je dirais non. »
De l’autre côté de l’Atlantique, nous avons contacté un autre faussaire de haut vol. Alfredo Martinez, condamné à cinq ans de prison pour avoir vendu des faux Basquiat. Son verdict est plus nuancé : « Je connais quelqu’un qui s’est fait beaucoup d’argent en récupérant des dessins que Basquiat avait décidé de jeter dans la poubelle de son atelier. Il ne faut pas confondre un mauvais Basquiat et un faux Basquiat », nous dit-il.
Le doute reste donc permis. Nous avons demandé à Dominique Viano s’il se sentait victime ou escroc ? « Pour l’instant alors, je ne me sens surtout pas escroc, nous a-t-il répondu avec un certain embarras. Un mot comme celui-ci est très violent. Le jour où une plainte sera déposée, nous montrerons tous les papiers. »
L’exposition, elle, a été interrompue. Officiellement à cause de la Covid-19. Les dessins douteux ont donc été décrochés de la galerie. Ils ont rejoint l’ombre de leur coffre… emportant avec eux leur secret.

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